Godzilla, aussi culte au cinéma qu’en roman
Pour les amateurs de culture japonaise, c’est un véritable séisme que provoque l’éditeur Ynnis Editions ! Jusqu’ici totalement inédit en France, le roman Godzilla vient poser ses grosses papattes dans nos librairies. Ce n’est pas une petite affaire car, derrière ce roman, ce bel écrin à la couverture prometteuse, c’est tout un genre cinématographique, et même vidéoludique, qui repose. Et ce dans une œuvre de très grande qualité.
On ne va pas le cacher, ici on voue un culte à Godzilla. Et comme beaucoup de personnes attentives à la culture japonaise, on a poncé la filmographie du monstre géant. On a même été jusqu’à pratiquer une grande partie des jeux lui étant dédiés, comme celui paru il n’y a pas si longtemps sur PlayStation 4. Pas si mauvais d’ailleurs, malgré une difficulté effarante. Oui, même le très mauvais opus Dreamcast est passé entre nos mains expertes. Mais revenons-en au septième art. Le film culte d’Ishiro Honda, celui qui imposa le kaiju eiga au cinéma en 1954, n’est pas sorti de nulle part. Non, il s’appuie sur une œuvre carrément méconnue en Occident, celle de Shigeru Kayama.
Alors, qui est Shigeru Kayama (1904 – 1975), dont la plume a permis l’un des plus grands fleurons anti-arme nucléaire ? Son destin peut rappeler celui de certains personnages des films de la franchise Godzilla, avec un destin pour le moins facétieux le hissant hors d’un cheminement classique. Il travaille d’abord quelques années au Ministère des Finances. Un salary man donc, mais passionné par la cryptozoologie et la rédaction. Ses écrits sont rapidement remarqués par le magazine Hoseki, et il se lance alors dans une carrière d’écrivain à part entière.
Shigeru Kayama, auteur trop méconnu en Occident
L’œuvre de Shigeru Kayama est gigantesque, et ne se résume évidemment pas à Godzilla. Mais il est indéniable que c’est bien son contrat signé avec la Toho, en 1954, qui lui ouvre les portes de l’immortalité littéraire. C’est au sein de ce prestigieux studio qu’il travaille sur une adaptation de ses écrits, ou en tout cas de son style entre aventure et cryptozoologie. Le scénario de Godzilla va naitre ainsi, et vous connaissez la déflagration que le film provoquera. La suite de la carrière de l’auteur sera parsemée de romans très populaires. Certains auront même droit à des adaptations, comme Half Human et son yéti géant. Bref, voilà une pointure dont on aimerait découvrir le reste de la bibliographie.
Ynnis Editions (Héroïnes de jeux vidéo, HP Lovecraft et le jeu vidéo) ne lance pas un roman, mais en fait un recueil de deux histoires. Godzilla donc, et sa suite Le Retour de Godzilla. C’est une excellente chose car, si la première partie ne fait place à aucun doute concernant la qualité du récit, le second est à la base d’un film qu’on n’apprécie pas forcément. Du coup, la curiosité nous étreint. Il faut de suite préciser : le roman Godzilla, paru à peine quelques jours avant le film de 1954, est finalement assez proche de ce dernier. La tonalité se fait par contre un peu plus sombre, comme lors de l’ouverture avec cette catastrophe navale provoquée par la première apparition du monstre.
Une lecture agréable, au style très « tanka »
Cette ouverture a tout de l’écrit touché par la grâce. Tout Godzilla se trouve là, dans cette séquence à la fois humaine, avec ces marins sur le retour au port, et impressionnante par la facilité avec laquelle un bateau est englouti par le monstre. Ensuite, l’enquête se met en place, les questions se posent, et les légendes du folklore local, sur la petite île d’Ôto, apparaissent. On sent d’ailleurs un véritable respect de l’auteur pour ces légendes, un amour de ce qui est ancré et durable. On le retrouve un peu moins dans Le Retour de Godzilla, récit plus ramassé et pourtant hyper plaisant, bien plus que son adaptation au cinéma, avec un Anguirus bien plus mémorable que dans son adaptation au cinéma.
La vision du monde de Shigeru Kayama est sans doute construite par le prisme de ce qui est pérenne. Et si un japonais de son époque sait quelque chose, c’est que l’arme nucléaire (et non le nucléaire, ce sont deux sujets différents) n’est pas du genre à permettre cette sauvegarde de ce qui est bon. Le film est un brûlot contre tout ce qui se rapporte à Hiroshima et Nagasaki, deux villes rasées par l’armée américaine. Le roman est dans la même veine, avec peut-être un peu plus de matière concernant les rapports entre l’Homme et sa création catastrophique. On pourra parfois trouver un peu surfaite l’envie de nous faire penser que la cohabitation avec Godzilla est possible, mais le récit ne va pas non plus totalement dans ce sens.
C’est bien ce qui fait la grande force du roman de Shigeru Kayama : il refuse d’être totalement partisan. Il la décrit la situation, la déplore, peut parfois se laisser aller à un peu de noirceur en se demandant si l’on n’a pas un peu mérité un tel châtiment. Mais Godzilla ne fait pas dans la leçon de morale, il égraine des moments, des personnages, des villes, et les passe à la moulinette d’un monstre en forme de retour de bâton, d’éternel résurgence du concret. C’est un véritable plaisir à lire, surtout que le style de l’auteur, très tanka (une forme de poème japonais) dans l’esprit de percussion des phrases courtes, est sauvegardé par le gros travail de traduction signé Sarah Boivineau et Yacine Youhat. Une condition indispensable pour favoriser l’objectif de l’œuvre : utiliser un genre populaire pour alerter sur un danger qui ne cesse de nous guetter, aujourd’hui encore…