The Centennial Case : A Shijima Story, la belle surprise de Square Enix
Les joueurs concentrés dans ce qu’on appelle le grand public ont toujours eu une attirance un peu étrange pour le réalisme. C’est une sorte de Graal, ce qui ferait une partie importante de la qualité d’un soft. Personnellement, je n’ai jamais compris ce goût pour ce qui se rapprocherait de ce qu’on voit dehors : il suffirait d’ouvrir la fenêtre pour contempler la vie, et non d’allumer la console. C’est justement pour m’en éloigner que je suis devenu joueur depuis près de quarante ans. Mais je compte deux exceptions. La première concerne les simulations automobiles, là il est nécessaire de coller à la réalité. L’autre est moins populaire aujourd’hui : le FMV, une technique de rendu devenu un véritable sous-genre à part entière, avec des classiques comme Mad Dog McCree, Night Trap, ou Phantasmagoria. Des titres qui plongeront certains (dont moi) dans une bouffée de nostalgie délicieusement primaire. Du coup, quand Square Enix a annoncé The Centennial Case : A Shijima Story, je n’ai pu m’empêcher de glousser de joie. Et cet bonne énergie s’est heureusement prolongée tout au long de ce test.
Avant d’aller plus loin dans mon test de The Centennial Case : A Shijima Story, je dois rassurer le lecteur un peu méfiant. Non, vous ne trouverez dans ces lignes aucune forme de spoiler. Ce qui va, d’ailleurs, me forcer à plus aborder le gameplay, alors qu’il est plutôt secondaire, que l’histoire en elle-même. Cependant, il reste nécessaire d’au moins replacer le contexte, et de se prononcer sur la qualité d’écriture de ce projet pour le moins atypique dans la ludothèque de Square Enix. L’intrigue, qui s’inscrit dans le polar à forte tendance mystique, nous mène habilement vers plusieurs époques, mais avec la même famille en ligne de mire : les Shijima. Cependant, ce n’est pas l’un des membres que l’on va incarner, mais une certaine Haruka Kagami, auteure populaire de romans policiers. Alors qu’elle est en pleine séance de dédicaces, en compagnie d’Akari Yamase, sa très mignonne éditrice, elle reçoit la visite de d’Eiji Shijima, l’un des derniers représentants du clan, devenu scientifique scientifique contre l’avis de son père. Mais cela lui a permis de collaborer à l’écriture des livres, afin de donner plus d’envergure aux enquêtes. Cela tombe bien, car le duo va devoir en résoudre une, et pas n’importe laquelle.
En effet, Eiji Shijima informe Haruka Kagami d’une découverte pour le moins glauque : des ossements ont été découvert sur le domaine familial. Et ce pile au moment où le clan se doit de lancer les festivité de la cérémonie des cerisiers. L’occasion, donc, pour le fils Shijima de retourner vers sa famille, alors qu’il est en sacrée brouille avec elle. Surtout, notre avatar va aller de surprise en surprise, et découvrir d’autres mystères peut-être encore plus troublants autour d’un fruit de jouvence, le tokijifu, et des morts qui se multiplient depuis de très longues années. Vous la sentez, l’histoire se déroulant sur plusieurs époques ? Eh bien vous avez raison car, si le scénario débute bien en 2022, il n’hésitera pas à nous propulser cent ans auparavant, en 1922. Car c’est depuis cette date que, tous les dix ans, la mort frappe la famille, alors que l’immortalité semble pourtant au centre de l’attention du clan. Comme vous pouvez le voir, The Centennial Case : A Shijima Story n’est pas une simple expérience un peu hasardeuse, on a droit au contraire à une écriture très ambitieuse. Et, bonne nouvelle, cela résulte sur un récit solide, certes non sans quelques moments de flottement dans le rythme (au début, surtout) mais offrant notamment un final hyper prenant. Si vous cherchiez un trip japonisant, je ne peux que vous conseiller ce titre.
Une écriture soignée, et un dernier tiers carrément hallucinant
The Centennial Case : A Shijima Story est soigné dans les moindres détails. Les cinéphiles vont sans aucun doute apprécier l’effort pour nous proposer une mise en scène qualitative, loin des champ-contrechamp alourdissant la plupart des jeux d’aventure occidentaux récents (coucou Wales Interactive). Un gros travail offrant non seulement une très bonne interprétation de la part du casting, mais aussi une réalisation étonnante. Au poste de réalisateur, on découvre un nom qui parlera peut-être aux amateurs d’animation japonaise : Kôichirô Itô. Celui-ci figurait au générique de Your Name et Les Enfants du Temps, deux petites perles de Makoto Shinkai. À la production, on retrouve (enfin !) Junichi Ehara, porté disparu depuis le gigantesque NieR Automata. Enfin, la très jolie photographie, parfois un peu appuyée dans la colorimétrie mais sans globalement spectaculaire, est assurée par Yasuhito Tachibana, un artiste déjà à l’œuvre sur pas mal de séries nipponnes. Ces noms prouvent à quel point Square Enix s’est donné les moyens de la réussite, laquelle est bien au rendez-vous pour qui recherche sa dose d’aventures mystérieuses.
Une histoire passionnante donc, mais qu’en est-il du gameplay ? Fut un temps, j’étais plutôt friand des jeux « à la Heavy Rain », mais je dois écrire que les derniers rejetons du genre, de Detroit : Become Human à Life is Strange : True Colors m’ont clairement refroidi. Pas spécialement à cause des mécaniques, elles restent solides, mais plutôt dans la manière de nous exposer des récits trop engagés politiquement pour divertir. Des expériences lourdingues donc, ce qui n’est pas le cas de The Centennial Case : A Shijima Story, et ce même si la prise en mains se révèle, sans aucun doute, le gros défaut du soft. Contrairement aux titres de Quantic Dream et DONTNOD, ici l’on ne peut manipuler un personnage. On fait face à un film interactif, purement et simplement. Je sens d’ici le soupir de certains, mais attendez car la suite vaut le coup. Le jeu assume totalement ce genre, et permet de manipuler les séquences, de les arrêter, de les quitter pour se plonger dans un énorme codex bourré d’informations jusqu’au-boutistes. Je me suis pris, tout du long, pour un enquêteur plus ou moins du dimanche, et c’est bien ce qui était recherché par les développeurs.
Un trip agréable, vers lequel il faudra revenir encore et encore
Par contre, le game design demande un véritable effort de digestion. Même si tout le début est pensé pour nous faciliter la bonne compréhension des mécaniques, The Centennial Case : A Shijima Story ne parvient pas vraiment à rendre les manipulations naturelles au premier abord. Pourtant, c’est plutôt simple : tout se joue sur trois phases. L’Incident, qui nous demande de simplement découvrir une partie de l’intrigue, comme un bon film. La Réflexion, elle, permet d’exposer nos hypothèses. Et c’est là que ça se complique, car il est question d’associer des données sur un damier. La mécanique est alambiquée, preuve en est qu’on a tous du mal à l’expliquer par des mots. Mais on s’adapte au fur et à mesure, et l’association des faits et des preuves finit par prendre corps. Enfin, la Conclusion met le joueur en opposition à celui qu’il accuse. Et là, ça devient bonnard quand on maitrise bien l’ensemble. Car on déroule nos preuves, mais le personnage peut aussi se défendre et tenter de se tirer d’affaire, et l’on peut même se tromper dans notre analyse, pour tout foirer au final. Du coup, si les premiers instants laissent un arrière-goût bordélique, les choses s’arrangent avec la pratique et ne font que s’améliorer.
The Centennial Case : A Shijima Story se termine, pour le premier run, en une bonne quinzaine d’heures, ce qui est éminemment satisfaisant pour un jeu en FMV. La rejouabilité est certes limitée par la linéarité du récit, les quelques choix ne servant qu’à rythmer le parcours et non à le modifier réellement, mais j’y reviendrai obligatoirement afin de terminer l’aventure à la perfection. Et, au-delà de cette envie perfectionniste, l’incroyable folie du dernier tiers de l’histoire me pousse à y penser, y repenser, quelques jours après avoir bouclé le trip. Vraiment, c’est un jeu d’une puissance inespéré, et je pense y retourner fréquemment à l’avenir. Enfin, il faut souligner deux dernières qualité, et pas des moindres. Tout d’abord, celle du rendu sur PlayStation 5. Le soft y est largement plus beau que sur les autres plateformes, et c’est sans aucun doute dû aux FMV en 4K. Cela a d’ailleurs une répercussion sur le poids des données : 63 gigas sur PS5, contre 15 gigas sur PS4, PC et Nintendo Switch. Une véritable superior donc, avec en prime un petit apport des gâchettes de la DualSense sur le damier, sans que ce ne soit foufou non plus. Pour terminer, la musique est tout simplement divine. Elle est signée Yuki Hayashi, connu pour son travail sur My Hero Academia. ses thèmes fonctionnent idéalement, apportent leur dose de mystère dans un jeu qui, décidément, n’en manque pas.