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[Édito] Jeu vidéo et cinéma : état des lieux

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« Adapter veut dire trahir »

Dans « jeu vidéo », il y a « vidéo » et c’est donc un juste retour des choses qu’un média qui se soit tant inspiré du cinéma inspire à présent le cinéma en retour. Mais s’il y a une porosité évidente entre ces deux formes d’art, le passage de l’un à l’autre n’est pas forcément si évident. En témoigne encore certaines productions récentes .

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Monster Hunter

On ne va se voiler la face. On a encore la chance de voir beaucoup de pépites sortir du lot, mais le cinéma est une énorme industrie, et comme toute industrie, elle est avant tout en recherche de profit à moindre risques. Les adaptations de jeu vidéo sont donc une aubaine pour les producteurs. La moitié du marketing est déjà fait avec des communautés déjà conséquentes. Malheureusement, ces adaptations se confrontent à un problème de taille : les seuls gamers ne suffisent pas pour être rentable et il faut aussi draguer le grand public. Mais à courir plusieurs lièvres à la fois…

Récemment encore, le Monster Hunter de Paul W.S. Anderson illustre ce paradoxe sans parvenir à le résoudre. Certes, on ne s’en étonne pas vraiment au vu de ce que le réalisateur a fait de Resident Evil précédemment.

C’est donc sans surprise qu’il nous colle sa femme dans le premier rôle et qu’il livre un film d’action impersonnel et hystérique (il n’y a quasiment aucun plan qui dure plus de 3 secondes, épuisant). En faire un isekai, pourquoi pas encore, même si c’est sacrément casse-gueule (comme le prouve le résultat). En revanche, mettre des Marines en protagonistes principaux pour une grosse première partie survival, c’est la cerise sur le gâteau du hors-sujet. On comprend l’intention de séduire le public américain, mais n’est pas Michael Bay qui veut, tant il est vrai que ce n’est pas à la porté de tout de monde d’érotiser l’US Army à coups de soldats courant au ralenti sur fond de F-16 et de soleil couchant.

Bien qu’on soit évidemment largement pour la réappropriation dans une adaptation, la limite entre réinterprétation et « je-m’en-fous-je-fais-ce-que-je-veux » est largement franchie ici. Et comme s’il n’était pas encore assez à l’ouest, Monster Hunter finit de passer à côté de sa proposition avec un univers trop succinctement et tardivement caractérisé, ainsi que des enjeux en contradiction avec l’esprit même de la licence. Là encore, à vouloir toucher à la fois les fans et le grand public, le métrage laisse tout le monde sur le bas côté. Les premiers (qui auraient été probablement plus indulgents sans la marque) resteront sur leurs faim, et les seconds ne sauront pas plus après ce film ce qu’est Monster Hunter et risquent juste de trouver l’ensemble sans queue ni tête.

On est donc en droit de se demander si Anderson prend vraiment tout ça au sérieux.

Après tout, le principal souci des adaptations de jeux en films est qu’elles ciblaient traditionnellement les « ados attardés » (toujours dans le top 10 des expressions détestables).

Il suffit de voir par exemple le Super Mario Bros de 1993, le Street Fighter et le Double Dragon de 1994, ou les Tomb Raider des années 2000 pour comprendre que le medium n’a que trop été traité avec opportunisme et par dessous la jambe (ou a minima avec une certaine incompréhension).

Encore récemment, les Hitman auraient pu être de vrais films de tueur à gage, avec un ton adulte à la Leon, mais en l’état, on a juste droit à de bêtes actioners lambda.

On pourrait aussi parler des séries B, parfois fait avec plus de sincérité à défaut de plus de talent (Wing Commander, Doom, Les divers films de Uwe Boll, etc.), mais insuffisamment soutenus en production (à tort ou à raison) pour échapper aux exploitations DTV.

Autant de douches froides qui ont fini par rendre le public-cible méfiant. et qui font que ce dernier a plus tendance à redouter ces adaptations qu’à les attendre à présent.

Lumière au bout du tunnel ?

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Mortal Kombat

Pourtant, il y a aussi de bons élèves. Pas forcément des bons films, mais de bonnes intentions et de la passion au moins. L’image du jeu vidéo a positivement évolué ces dernières années et leurs adaptations de concert. En oubliant Paul W.S. Anderson qui, laissons lui le bénéfice du doute, n’est peut être juste pas très bon, on peut noter du mieux en termes de considération et d’ambition de manière générale.

Le dernier Tomb Raider (2018) ou l’adaptation récente de World of Warcraft sont trop inégaux pour être marquants en tant que films, mais dénotent d’un réel amour pour les œuvres d’origine. Même dans le très mauvais Max Payne, on sentait un minimum d’ intention derrière et un parti-gris graphique (pompé sur Sin City).

On ne peut nier non plus le caractère divertissant du Dead or Alive de Corey Yuen. Alors attention, oui le film est très con et absolument pas 2021-proofed sociétalement parlant, mais comme les jeux éponymes en fait. Et il propose surtout de vrais morceaux de bastons aussi délirants que bien chorégraphiés.

À propos d’arts martiaux fantaisistes, le nouveau Mortal Kombat n’est pas un chef d’œuvre non plus, mais fait le job dans le genre plaisir coupable. Un peu comme le nanard des années 90 (signé Paul W.S. Anderson encore…), étrangement devenu culte grâce à sa chanson-titre énervée et son Raiden rigolard incarné par un Christophe Lambert en roue libre.

Le développement est un peu laborieux, le climax manque d’ampleur et c’est atrocement kitsch par moments (bon, en même temps on parle de Mortal Kombat hein…) mais cette nouvelle adaptation assume totalement son ADN (Rated R), se laisse aller dans le gore décomplexé et offre même quelques bastons pas trop dégueux.

Qu’on les apprécie ou pas, notons aussi que Sonic et Pokémon : Detective Pikachu ont le mérite de remplir leur contrat sans prendre leur public de haut. Surtout le Pokémon qui est même étonnant de par son petit côté décalé aussi inattendu que rafraîchissant.

Mais l’une des meilleures adaptation de jeu vidéo au cinéma à ce jour est certainement le Silent Hill de Christophe Gans. Le film peine à faire monter la tension, mais la composante émotionnelle n’a pas été oublié, l’histoire étant hantée par une réelle mélancolie, et la direction artistique est aussi sublime que fidèle. Chaque plan est soigné et transpire d’une authentique fascination pour le jeu.

Ne passant pas par la moulinette Hollywoodienne, les adaptations animées ont également tendance à plus s’en sortir avec les honneurs. Street Fighters, Final Fantasy, Fatal Fury ou Dragon Quest ont par exemple eu droits à des déclinaisons plus que correctes.

Pour finir, prenons aussi quelques lignes pour rendre hommage à Wargame, Matrix, Tron et Tron l’Héritage qui restent des références en matière d’illustration des mondes virtuels au cinéma. Ce sont des films qui racontent quelque chose à côté de leur décorum et qui ont compris que ce n’était pas juste une question de coups de coudes et de clins d’œils complices aux joueurs (oui Ready Player One, c’est toi qu’on pointe du doigt).

I have a dream

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Dead or Alive

Il faut toutefois reconnaître que certains titres se prêtent plus facilement à l’adaptation que d’autres.

Que peut-on attendre par exemple de la future adaptation à venir de Demon’s Souls ? Le jeu utilise une narration très particulière qui repose presque entièrement sur ce que le joueur décrypte des indices qu’il trouve, sur ce qu’il projette sur l’univers et le personnage qu’il incarne. En faire une histoire racontée de manière linéaire est déjà un non-sens en soi.

Mais pourtant, on ne peut s’empêcher d’imaginer ce que ça donnerait dans les mains d’un Ari Aster, d’un Lynch, d’un Cronenberg ou d’un Iñárritu, d’imaginer une direction photo proche de celles d’un Macbeth de Justin Kurzel ou d’un The Witch de Robert Eggers, ou encore de fantasmer une approche profondément lyrique et pictural à la manière d’ un Excalibur de John Boorman. La trahison serait alors délicieuse.

Les projets sur God of War et Metal Gear Solid piquent aussi la curiosité, forcément. On se prend facilement, là aussi, à imaginer un traitement rugueux à la Conan le Barbare de Millius pour le premier, et à une approche quasi-documentariste façon Jason Bourne de Greengrass pour le second.

A l’inverse, on ne doute pas que Uncharted, le film-qui-s’inspire-d’un-jeu-qui-s’inspire-de-films, sera l’Indiana Jones-like attendu. De même pour la prochaine adaptation, en série TV de The Last of Us qui ne laisse pas trop de doutes sur le fond et la forme, le jeu étant déjà très cinématographique dans sa narration et vampirisant à outrance les codes du cinéma post apo et zombie.

Mais qui sait après tout ? Tout n’est finalement qu’affaire de production. Qui va produire et avec quelle implication ? Qui va écrire ? Qui va réaliser ? En attendant les réponses à ces questions, il est toujours permis de rêver

Tout le monde à la même enseigne

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Silent Hill

Bien entendu, les difficultés à adapter les jeux vidéo en films sont inhérentes à toutes les adaptations quelles qu’elles soient. A chaque fois, c’est comme jouer avec une boite à forme et essayer de faire rentrer le triangle dans le rond. Soit tenter de raconter une histoire qui a été pensée pour un format précis dans un format totalement différent et soumis à d’autres codes et règles de narration et de rythme.

Il faut reconnaître que Marvel est le champion actuels de l’exercice avec un concept de sérialisation (« stérilisation » diront les mauvaises langues), qui s’inspire du format épisodique des comics, mais tout en gardant une ligne directrice définie. Un choix qui se tient, mais en contrepartie d’un lissage de ton sur l’ensemble des films. Prisonnier de son approche grand public et formatée, le MCU est certes fonctionnel, diablement efficace même, mais peine à surprendre et à se renouveler.

A l’inverse DC laisse plus les réalisateurs s’exprimer et apporter leur patte personnelle, mais il en résulte un manque total de cohérence formelle dans le DCCU.

Avec ces retours d’expérience, comment se positionnera Ubisoft qui projette de développer de plus en plus ses licences en films ?

Il n’y a eut être pas de bonne solutions en soi, et il faut juste l’accepter en fait. Accepter qu’adapter veut dire trahir, et que cette trahison est nécessaire. Il faut aussi accepter qu’une mauvaise adaptation puisse être un bon film. Ou l’inverse. Si par chance, on a à la fois une bonne adaptation et un bon film (coucou Scott Pilgrim, The Crow ou Speed Racer), tant mieux. Sinon tant pis, cela ne gâche en rien le matériau de base.

Adapter servilement n’est pas seulement impossible techniquement, mais n’a surtout pas de sens. Si on élude un instant l’aspect mercantile qui ne nous intéresse pas nous, le public, quel serait l’intérêt d’adapter une œuvre sous une nouvelle forme sans un minimum de relecture et de vision ? Pour autant, le faire en sachant ce qu’on adapte et en saisir l’essence est la moindre des choses. Sinon, autant partir sur une autre œuvre ou, pourquoi pas, se lancer plutôt dans une œuvre originale (idée apparemment terrifiante de nos jours).

À la décharge de ceux qui se lancent dans des adaptations cinéma, cela reste donc du funambulisme sans filet.

Alors, quel que soit le résultat qui nous attend avec les futures adaptations de Demon’s Souls, Metal Gear Solid, Minecraft, etc., ne jouons donc pas au gardiens du temple de manière prématurée (spoiler alert : le temple n’a besoin de personne pour être défendu) et gardons plutôt l’esprit ouvert. Après tout, on n’est pas l’abri d’une bonne surprise de temps en temps.

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