Voice of Cards est l’un de nos coups de cœur de 2021 !
Voilà quelques temps, un peu après la sortie de l’excellent NieR Replicant, Yoko Taro avait déclaré être sur le développement de plusieurs jeux. Et son producteur attitré, Yosuke Saito, de renchérir dans le style si particulier de ce duo indispensable à l’industrie vidéoludique, en indiquant ne pas être hyper chaud pour l’un d’entre eux. Celui-ci n’est autre que Voice of Cards : The Isle Dragon Roars, un jeu aux ambitions certes moindres que celles d’un NieR Automata, mais tout de même tout à fait attachant.
Nous suivons la carrière de Yoko Taro depuis fort longtemps, avec l’énorme coup de cœur de votre humble serviteur pour le très glauque Drakengard sur PlayStation 2. Et, comme toute avant-garde, on est parfois un peu étonné de voir un engouement tardif pour un phénomène qui méritait bien plus de considération. Le grand succès de 2B et 9S a enfin placé le projecteur où il fallait, on ne peut tout de même que s’en réjouir. Et Square Enix a aussi compris son intérêt à appuyer un tel auteur atypique, donc voilà que l’un de nos éditeurs chouchous appuie un projet étrange, pas évident sur le papier. Avec, à la clé, un Voice of Cards dont le principe est à la fois très courageux, minimaliste, et pourtant dans l’air d’un temps qui ne cesse de vouloir rassembler plusieurs médias en un seul. Ici, le jeu vidéo et le jeu de rôle sur table. Au développement, sachez que l’on retrouve Alim, que vous connaissez peut-être pour le très bon jeu mobile Final Fantasy Brave Exvius. Il s’agit donc du premier jeu console pour ce studio doué. Grosse pression… et il s’en sort avec les honneurs
C’est non sans surprise que nous avions découvert les premières images de Voice of Cards. Pour aller plus loin, on était même un peu chafouin. Pas que le concept, côté gameplay, ne nous emballait pas, mais il était évident que l’univers ne s’inscrivait pas dans ceux de Drakengard et NieR. Une petite bouderie bien vite oubliée quand le jeu fut lancé, car l’histoire de ce jeu est tout bonnement d’excellente facture. Derrière des apparats d’un grand classicisme, ici une quête pour tuer un dragon sanguinaire, on découvre tout un récit beaucoup plus profond. Oui, on est bien dans un scénario signé Yoko Taro, avec ce que ça comporte de poussées sombres, de cassure du quatrième mur, d’humour très noir et autres rebondissements permettant une seconde lecture. Seule petite retenue : le tout est assez linéaire, on est clairement dans une expérience qui privilégie l’avancée à la contemplation. Rien de bien gênant donc, et sachez que tout vous sera compréhensible : le titre est intégralement sous-titré en français, avec grand soin. C’était vraiment nécessaire, notamment pour bien capter l’intérêt du narrateur (interprété par le doubleur du grimoire Weiss de NieR Replicant), d’une importance capitale pour l’atmosphère.
Le style de Yoko Taro est bel et bien présent
Voice of Cards est une expérience fascinante, même si elle n’a pas été pensée pour un format d’envergure. De base, le jeu devait sortir uniquement sur mobiles, mais le développement fut tel que les auteurs ont considéré, avec raison, de pouvoir le sortir sur console. Du coup, on se retrouve avec peu de PNJ, mais tous sont accompagné d’une description dans la base de donnée. Yoko Taro oblige, on peut débloquer leurs histoires complètes. Lesquelles démontreront que rien n’est manichéen, tout a sa part de lumière et d’ombre. Et pareil pour les monstres : finalement peu nombreux mais tous bien décrits dans le carnet. Comme dans tout bon J-RPG contemporain, on a aussi droit à des quêtes annexes, mais toutes assez faciles et finalement peu engageantes. Dommage de ce côté-là, même si l’on peut rire de certaines situations dont on vous laisse le plaisir de la découverte. On sent bien que les développeurs ont lutté pour rythmer l’aventure, comme en témoignent ces événements qui se déclenchent en cours de déplacement, lesquels se répètent trop à notre goût (comme dans la forêt maudite). Mais cela extirpe l’ensemble du simple trip mobile, et lui donne plus de contenance.
Dans Voice of Cards, le joueur incarne un jeune chevalier sans le sou, au caractère de cochon et accompagné d’aventuriers ayant tous une raison plus ou moins cachée d’aller occire le dragon. On ne le verra jamais en modèle 3D, mais uniquement sous forme de carte et de… pion. En effet, on déplace notre avatar sur une carte isométrique, de case en case. Oui, cela ressemble un peu à du dungeon crawler, mais à la troisième personne, avec un esprit de jeu de plateau. Cela s’adapte clairement à un budget rikiki, et c’est une véritable réussite : l’histoire est si bien contée que notre esprit se charge de matérialiser cette abstraction visuelle. C’est peut-être même le gros exploit de cette expérience que de revenir aux fondement de ce qui fait l’intérêt du jeu vidéo, l’imagination. Le gameplay, quant à lui, s’articule autour de cette simplicité d’apparence. Il ne s’agit pas d’un deck-building, mais d’un J-RPG au tour par tour des plus classiques, avec un habillage sous forme de cartes. Cela s’accompagne d’un système de billes pour permettre le lancement d’une d’entre elles, il en faudra par exemple deux pour attaquer avec un sort de foudre. Aussi, certaines cartes demandent un jet de dé, ce qui ajoute encore à l’impression de jeu de plateau.
Un gameplay efficace, et une direction artistique grandiose
Bien sûr, comme tout bon J-RPG, Voice of Cards vous demande de gérer votre équipe, son équipement mais aussi les cartes qui constituent sa manche en cours de combat. Tout cela dans des menus hypers clairs, c’est vraiment un plaisir que de prendre en mains tout cela. Voilà donc un concept d’une efficacité redoutable, surtout que les ennemis permettent aussi de se prendre au jeu des bonus et malus, ainsi que des faiblesses et résistances. Attention donc à bien observer les information lors des batailles, car certains adversaires sauront vous faire payer votre manque de concentration. Rien de bien révolutionnaire, il faut l’admettre, mais ça fonctionne parfaitement. Seulement voilà, on aurait tout de même voulu plus de difficulté, un challenge un peu plus corsé. Là, dans les faits, un peu de grind autour des villages suffit pour rouler sur les différents donjons et boss. On sent bien que la priorité n’était pas de nous proposer des points de rupture nous demandant d’aller un peu butiner pour choper des armes cachées (il en existe), mais cela se ressent tout de même à l’heure du bilan.
L’aventure de Voice of Cards propose une bonne durée de vie, et un contenu plus solide qu’il n’y paraît de prime abord. Pour terminer l’histoire, il vous faudra une douzaine d’heures, mais beaucoup plus pour qui veut tout voir. Signalons quatre fins disponibles, qui se réfèrent à des choix de votre part. Aussi, on a droit à du contenu post-game, dont un boss dans une certaine grotte (on n’en dira pas plus). M’enfin bon, il s’agit d’un jeu qui nous fait lâcher la bride, on ne regarde pas la montre ni le timer. On prend le temps d’explorer toutes ces petites cases, de chercher les multiples références (dont certaines à d’autres jeux de Yoko Taro). Tout cela en prenant grand plaisir dans la pure partie visuelle : quelle magnifique direction artistique ! Le chara-design, signé Kimihiko Fujisaka (qui s’occupe aussi de Drakengard) est de très, très grande qualité. Il est simplement regrettable qu’on n’ait pas encore plus d’artworks à disposition. Sinon, la pure technique est évidemment nickelle, tant elle est minimaliste. Enfin, l’ambiance sonore profite notamment de la participation du grand Keiichi Okabe, pour nous le meilleur compositeur de bandes originales vidéoludiques à l’heure actuelle. Le thème principal, les plages plus dans l’ambiance médiévale, tout a une énergie teintée d’une sorte de dramatisation hyper efficace. Vraiment sublime, vivement l’OST en galette.