Call of the Sea aborde Lovecraft avec intelligence
Sorti en fin d’année dernière, un peu en catimini il faut le dire, Call of the Sea re-débarque cette fois-ci sur PlayStation 5. L’occasion, pour nous, d’aborder un jeu qui nous titillait au plus haut point. En effet, le mélange d’aventure, d’énigme, et d’ambiance lovecraftienne avait tout pour nous convaincre…
Nous vous parlions récemment d’un excellent livre paru chez Ynnis Editions, HP Lovecraft et le jeu vidéo, signé Carlos Gomez Gurpegui. Le contenu, ses multiples objets d’analyse, confirmait que l’œuvre de l’auteur maudit de Providence s’accorde plutôt bien avec le jeu vidéo. Jusqu’ici, la plupart des jeux retenaient des ses écrits la terreur. Moins l’ambiance, même si les imparfaits Call of Cthulhu et The Sinking City parvenaient, parfois, à l’atteindre. En tout cas, bonne nouvelle : Call of the Sea s’inscrit dans une vision plus maitrisée de l’indicible. Avec, en plus, une petite pointe d’originalité qui ne fait jamais de mal.
Pourtant, la qualification de walking simulator, devenue un peu péjorative avec le temps, n’était pas du genre à nous rassurer. Elle est d’ailleurs trompeuse, ici. Call of the Sea s’engage sur un chemin tout de même plus actif, et le tapisse d’un scénario passionnant (entièrement sous-titré en français), se déroulant en 1934. On y suit la trajectoire de Norah, jeune femme atteinte d’une étrange maladie de l’épiderme, voyant ses avant-bras se recouvrir de taches inquiétantes. Pour couronner le tout, son bien-aimé Harry a disparu depuis des mois, alors qu’il était parti dans le Pacifique Sud afin de dénicher un remède. Il est alors temps pour notre avatar de prendre le bateau, et d’accoster sur une île dont les premières apparences paradisiaques sont bien trompeuses. Voilà le début d’un parcours sortant des sentiers battus, et non sans quelques références notamment à L’Affaire Charles Dexter Ward.
Une ambiance surprenante
L’ouverture de Call of the Sea fonctionne incroyablement bien, engageant le trip du côté du hors-champs donc, de facto, de l’indicible. En peu de temps, personnages et problématiques sont installées, tout en préservant une grande dose de mystère quant aux lieux que l’on ne va pas manquer de découvrir. Le studio de développement Out of the Blue, qui livre ici son premier jeu sous la protection de l’éditeur Raw Fury, a la bonne idée de tout d’abord nous plonger dans la lumière. Bien souvent, les jeux abordant l’univers lovecraftiens cherchent à plonger leur jeu dans l’obscurité. Ce n’est pas une mauvaise chose, mais c’est aussi une facilité. Stanley Kubrick, en travaillant sur Shining, indiquait vouloir faire peur en pleine lumière, et cette volonté résultait sur une frayeur différente mais efficace. Si le jeu ici traité ne terrorise pas, il intrigue. Et avec une bonne dose de soleil et de décors presque vierges de la présence humaine.
On est certes frappé par la beauté des environnements, mais on a tout de même assez rapidement la première énigme qui vient nous rappeler qu’on ne se contentera pas de marcher et de regarder. Tout, dans Call of the Sea, se déroule en vue subjective. On peut accélérer le pas (et tant mieux !), et il est question d’observer, de ramasser des écrits, de rassembler des indices dans un carnet de note qui constitue votre meilleur allié. On peut le compulser alors même que l’on est entrain, par exemple, de manipuler un tiki dont le corps représente une suite de symboles à bien positionner pour ouvrir une salle cachée. C’est très agréable dans la prise en mains, et cela évite de perdre énormément de temps dans des menus.
Des énigmes globalement simple à résoudre
Les énigmes vont un tout petit peu se complexifier, tandis que les environnements proposeront de plus en plus d’espace à parcourir. Et même un caractère ouvert certes limité mais réjouissant, donnant l’impression que l’on peut se permettre de farfouiller comme on l’entend. Call of the Sea n’est vraiment pas difficile, mais tout de même : le troisième des six chapitres marque une complexification certaine, surtout dans l’ordre des casses-têtes à élucider. Malheureusement, tout cela redescend à l’occasion des cinquième et sixièmes, d »ailleurs bien plus linéaires et peut-être même plus plat dans leur structure. On se consolera tout de même avec l’existence de deux fins, assez différentes dans ce qu’elles laissent comprendre.
On souligne aussi le bon effort d’accessibilité effectué par l’équipe d’Out of the Blue. Cela permet l’existence d’options pour simplifier la lecture du carnet (on passe d’une fonte stylisée très jolie mais pouvant être difficilement déchiffrable, à une police tout à fait classique), de régler la présence d’une mire, de désactiver les oscillations de la tête. Si vous êtes du genre photosensible, rassurez-vous : il est permis de désactiver les lumières vives du jeu. Et il est possible d’en faire de même avec le flou cinétique, ce qui est utile surtout pour les phases d’observation des objets. Bref, Call of the Sea fait partie de ces jeux qui dorlotent ses pratiquants.
Call of the Sea, une grande réussite visuelle
Enfin, comment ne pas saluer la bonne tenue de la direction artistique ? L’équilibre du gameplay est une force, mais Call of the Sea peut surtout compter sur une ambiance visuelle carrément mémorable. Dans un style légèrement cartoon, donc à l’aide de textures faussement grossières mais véritablement travaillées pour l’évocation, on découvre une île généreuse en couleurs vives. Cela manque peut-être un peu d’animations sur la flore de l’endroit, mais les détails se multiplient pour qui est attentif. Les situations imposent évidemment des variations, des luminosités différentes. Cependant, le charme reste constant.
Le domaine sonore est aussi un point fort, même si l’on vous conseille de baisser de moitié le volume des bruitages. Sinon, ils ont tendance à écraser le mixage, même s’ils restent très importants pour le ressenti du joueur (ah, ces chuchotements). La musique ne se fait pas trop présente, et l’on pourra même remarquer que Call of the Sea manque d’un thème réellement marquant. Dommage, même si les notes très typées film d’aventure se déroulant dans les années 1930 sont évidemment très à-propos. Enfin, on apprécie le gros travail de doublage. D’ailleurs, sachez que Norah est doublée par Cissy Jones, la Delilah de Firewatch.