Road 96 : Mile 0, une préquelle vraiment utile ?
Confidence pour confidence (si vous avez le référence musicale, GG), je n’ai plus vraiment la flamme pour les jeux purement narratifs. Faut dire qu’on en a soupé, de ce genre, et les dernières itérations étaient passablement lourdingues. Je pense notamment aux Life is Strange, de moins en moins intéressants dans ce qu’ils racontent. Aussi, la profusion des walking simulators très limités, que ce soit narrativement ou techniquement, a porté un sacré coup au modèle mis sur le devant de la scène avec la réussite des premiers titres d’un Telltale Games aujourd’hui disparu. C’est dans cette ambiance morose qu’est sorti, en aout 2021, un certain Road 96. Et le succès de ce titre français fut tout de même au rendez-vous, notamment grâce à une mécanique procédurale effectivement efficace. Deux ans plus tard, maintenant que le studio DigixArt a rejoint les rangs tentaculaires d’Embracer Group (en restant ici édité par Ravenscourt), les développeurs livrent une préquelle, sobrement intitulée Road 96 : Mile 0.
Ce test ne comportera aucun spoiler concernant le premier jeu, et ce n’est pas simple croyez-moi. Il faut tout de même replacer un minimum de contexte : l’univers de cette désormais licence nous embarque vers Petria, un pays qui bascule dans le totalitarisme suite à un attentat. Oui, bon, vous remarquez de suite un parallèle avec la situation française (mais aussi celle américaine, avec toute une histoire de mur, en gros l’Occident c’est pas beau), et il est tellement idiot que j’ai du mal à ne pas soupirer. Mais passons, surtout que le jeu d’origine développait tout de même pas mal son récit, et plus particulièrement des personnages secondaires certes clichés dans leur genre mais touchants. Road 96 : Mile 0 prend donc place quelques semaines avant ces événements, et l’on retrouve bien les protagonistes précédemment installées. Kaito et Zoé sont donc de retour, et l’on s’intéresse à la naissance de la rébellion du premier, tentant de convaincre la seconde qu’il faut fuir le pays. Alors certes, la vision du monde (certes fantasmé, mais on se comprend) est digne de celle d’un adolescent de quatorze ans n’ayant jamais vécu le sujet abordé, avec cette classe populaire qui serait plus éveillée, plus solidaire aussi (les adultes préféreront se remémorer l’excellent Affreux, Sales et Méchants). Mais bon, ça reste touchant, cette forme d’innocence dans le propos. Sachez enfin que l’édition Stronger Together embarque un livre numérique et interactif assez intéressant (et en français, comme les sous-titres du jeu), nous relatant le destin de Zoé entre les deux softs.
Faut-il avoir joué au premier jeu afin de bien comprendre Road 96 : Mile 0 ? La réponse est délicate, car les deux possibilités de découverte, sans avoir vécu les événements post-préquelle ou en les connaissant déjà, ont leurs qualités. Mais si je devais choisir, je dirais que les nouveaux venus devraient commencer par cet épisode. La trajectoire des personnages me paraît bien maitrisée et, surtout, le scénario ne joue pas la carte du clin d’œil appuyé, une bonne chose. Aussi, il me semble que survivre à la narration de cette préquelle ne rendra la découverte de Road 96 que meilleure. Car c’est ici que je j’aborde ce qui m’a particulièrement déplu dans ce jeu : la forme de la narration. Adieu la construction procédurale, et la petite mécanique roguelite, lesquelles faisait pourtant la grande force du titre fondateur. Ici, on est sur du narratif pur et dur à la Detroit : Become Human, mais en beaucoup moins développé. Même si le jeu propose plusieurs fins, ce qui pourra pousser les plus courageux à une bonne rejouabilité, cela reste très linéaire dans la forme. On est donc face à un jeu d’aventure très classique, avec des choix de dialogue parfois étonnamment superficiels pour un soft qui se donne des airs de grand contestataire. Pas de choix vraiment cornéliens, et encore moins de morale mise à l’épreuve.
Pas un walking simulator, mais presque
Pourtant, Road 96 : Mile 0 propose bien une petite gestion de la moralité de nos personnages, selon nos agissements. Mais rien de vraiment percutant. Il faut être clair, le gameplay n’est de toutes manières pas du tout la priorité de cette expérience, même si je ne parlerai pas non plus d’un walking simulator. On se déplace dans quatre environnements assez étriqués, proposés parfois avec de légères modifications, dont une planque que l’on pourra d’ailleurs un peu modifier. Mais n’attendez aucun sentiment de liberté : on a des gros murs invisibles qui viennent vous rappeler que, dans cette dictature, les limites imposées sont celles des développeurs. Alors certes, ces derniers tentent de multiplier les phases de mini-jeux afin de ne pas trop plonger le joueur dans l’effroi d’une balade forcée. Mais bon, la petite partie de Puissance 4, les différentes bombes de peinture à trouver, tout ça ne va pas au-delà de l’anecdote. Plus rigolo, les chapitres se terminent tous par des phases rythmiques, dont je vous laisse l’entière surprise de la justification scénaristique. C’est certes très basique, on doit récupérer des étoiles alors que notre avatar dévale une route, tout en faisant attention aux pièges, mais au moins ça apporte une dose de fun.
Terminer un run Road 96 : Mile 0 demande quatre à cinq heures, selon votre envie de tout dénicher. Et, comme précisé plus haut, les amateurs multiplieront ce chiffre pour découvrir les différentes fins. On est donc dans la moyenne basse de ce genre d’expérience, mais cela me paraît amplement suffisant pour ce que le scénario nous raconte. Visuellement, le jeu est dans la droite lignée de son prédécesseur : la direction artistique cartonnesco-pop est très agréable, maitrisée d’un bout à l’autre, mais la pure technique connaît quelques ratés. Principalement du côté de la fluidité, parfois mise à mal sans que l’on sache trop pourquoi. Aussi, sur PlayStation 5, j’ai remarqué des soucis de réactivité avec la DualSense, principalement lors des phases musicales. Dommage, car il s’agit des meilleurs moments de cette expérience. Aussi, les temps de chargement se révèlent étrangement longs, comme si le SSD de la console était aux abonnés absents. Par contre, il faut noter l’excellente tenue de la partie sonore, aussi bien dans les thèmes composés pour l’occasion ou la playlists de chansons déjà connus. C’est clairement l’une des seuls raisons qui m’ait poussé à aller jusqu’au bout de cette aventure…