- Héroïnes de jeux vidéo : Princesses sans détresse
- Auteur : Bounthavy Suvilay
- Editeur : Ynnis Editions
- Date de sortie : 14 avril 2021
- Nombre de pages : 208
- Dimensions : 24 x 27 cm
Héroïnes de jeux vidéo surprend et s’impose
La sortie du très intéressant Héroïnes de jeux vidéo : Princesses sans détresse n’est pas le fruit du hasard. Il faudrait être aveugle pour ne pas sentir une poussée du féminisme dans notre société occidentale. Des voix se sont fait entendre aussi bien dans le milieu du cinéma, de la politique, du journalisme, etc. Et dans le jeu vidéo, on en est où ? Ce beau livre paru chez Ynnis Editions apporte sa réponse.
Tout d’abord, arrêtons-nous un peu sur le sujet de l’auteure. Il semblait primordial que ce soit à une femme de s’exprimer sur ce sujet, et c’est donc le cas. Héroïnes de jeux vidéo est signé par l’excellente Bounthavy Suvilay, un nom que les joueurs à tendance lecteurs connaissent déjà fort bien. En effet, elle signait le déjà très en vue Indie Games, chez Bragelonne. Cette agrégée de lettres modernes a aussi livré des articles chez jeuxvideo.com, et a occupé le poste de rédactrice en chef du regretté IG Magazine. Il était vachement bien ce bimestriel, enfin bref. Aussi, l’auteure semble s’être fait une spécialité que d’aborder des jeux méconnus, ainsi que le sujet du féminisme dans le jeu vidéo.
D’ailleurs, nous vous conseillons le site de Bounthavy Suvilay, dans lequel on retrouve des articles qui commencent à nous mettre sur la voie de cet Héroïnes de jeux vidéo, de son traitement. Notamment l’article Les deux font la paire, lequel dénote l’envie d’aborder le féminisme de plein pied, sans écarter la dose de contradictions contenue dans certains traitements. Dès lors, on se précipite dans le contenu du livre, persuadé qu’on aura là l’occasion de découvrir, plus que de subir une sorte de combat politique. La lecture débute pourtant avec une préface de Yann Leroux, psychologue clinicien et psychanalyste assez en vue dans le milieu du jeu vidéo. La tonalité est clairement actuelle, avec tout ce qu’il faut de représentativité qui aurait mis du temps à s’installer, et autres rejets des joueurs masculins. C’est un peu gros, un peu long, mais c’est fait avec grands renforts d’études officielles, et non sans un certain punch.
Le sujet parfaitement abordé, sans fioritures trop politiques
Après cette ouverture en forme de passage obligé, comme pour justifier l’existence d’un sujet qui, de toute manière, nous aurait intéressé, Héroïnes de jeux vidéo peut réellement débuter. Et là, tout s’éclaire en une phrase d’une auteure décidément courageuse : « contrairement à ce que certains veulent nous faire croire, le jeu vidéo n’a pas besoin de personnages féminin ». Elle continue en signalant, à très juste titre, que la remarque s’étend au masculin, comme le démontre Tetris par exemple. On s’éloigne donc du combat politisé pour atteindre le seul thème qui peut nous embarquer ici : la femme dans le jeu vidéo, point. Félicitations à l’auteure, elle n’est pas tombée dans une facilité pourtant très confortable de nos jours.
Qui est véritablement joueur sait que non, la représentativité des femmes dans le jeu vidéo n’est pas née d’hier. Héroïnes de jeux vidéo a aussi le très bon goût de ne pas tomber dans le stéréotype de l’anti-stéréotypeur. L’ouvrage rappelle que dans les années 1980, il fallait user d’idées visuelles immédiatement captables afin de traduire la féminité à l’écran. Ce qui donne le ruban rouge de Ms. Pac-Man, et son rouge à lèvre, ce n’est pas le sexisme mais l’envie de proposer aux femmes une représentante. Bien entendu, on aura aussi des pubs et des modèles 3D jouant sans vergogne sur l’attirance des hommes. Ceci un temps encouragé par un marché japonais catégorisé par nature (il suffit de regarder l’offre manga, il y en a pour tout le monde), que nos analystes d’aujourd’hui ne comprennent toujours pas. L’auteure est conscient de ce fait, on le sent quand elle aborde les femmes des jeux de combat des années 1990.
Un beau livre qui mérite cette appellation
Héroïnes de jeux vidéo ne cherche pas à rassembler tous les personnages féminins, mais plutôt à invoquer des définitions. Peach (Super Mario Bros) n’a rien à voir avec Jill Valentine (Resident Evil), qui n’a rien à voir avec Yuna (Final Fantasy), etc. Ceci provoque donc un cheminement de lecture des plus agréables, avec pas mal de contextualisations, mais aussi des anecdotes que l’on ignorait. On a aussi droit à des encarts élargissant les sujets, comme celui dédié au traitement des filles dans les productions casuals de la Nintendo DS. C’est toujours très bien vu. Aussi, on note une bonne dose d’humour, voire même de petites remarques grinçantes très justes, que l’on vous laisse découvrir.
Plus on se plonge dans Héroïnes de jeux vidéo, plus on y trouve des raisons de le conseiller très fortement. Ce constat est aussi dû au très grand soin apporté à l’édition. Ynnis Editions (HP Lovecraft et le jeu vidéo) propose un beau livre au format idéal pour livrer une maquette à la fois claire et riche en images. Tout juste pourra-t-on regretter que la couverture soit souple, la qualité de l’ouvrage aurait pu mener vers du cartonné. Mais c’est du chipotage, surtout qu’on apprécie beaucoup l’artwork s’y étalant, signé Koi Carreon.
Conclusion
Héroïnes de jeux vidéo : Princesses sans détresse dépasse le féminisme contemporain pour s’attarder sur son sujet de manière plus globale… et bien plus intéressante. L’auteure a le don de savoir contextualiser les figures sélectionnées, tout en livrant des anecdotes, et non sans parfois faire preuve d’une certaine pointe d’humour. Il faut aussi appuyer sur la très belle pièce qu’est cet ouvrage, à la maquette très agréable. Voilà donc un beau livre qui atteint son objectif avec courage et dignité. Bravo.
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