Elden Ring, au Panthéon du jeu vidéo
La sortie d’un nouveau jeu développé chez FromSoftware est toujours un grand moment pour votre dévoué testeur. Non pas que l’on attende à chaque fois un nouveau hit, même si c’est le cas, mais plutôt que l’on se pince pour réaliser la situation. Le studio est certes sur toutes les lèvres depuis 2009, et la version PlayStation 3 de Demon’s Souls. Une bombe, à l’époque massacrée par la critique mais adulée par une niche de joueurs ayant perçu un game design riche au possible. Et ils avaient raison, puisque celui-ci n’a fait que s’étoffer au fil des softs suivants, dont un Bloodborne que l’on considère comme l’un des meilleurs titres de l’Histoire du jeu vidéo. C’est aujourd’hui une évidence, mais FromSoftware n’a pas toujours été un grand nom. Qui se rappelle de Kuon, ou du récemment remasterisé Metal Wolf Chaos ? Pire, même les bons softs qu’étaient Otogi ou Enchanted Arms restaient boudés par les différents testeurs, alors même que nous étions une marge de fadas à crier notre amour pour ces développeurs. Et ce n’est pas avec l’excellent Elden Ring que l’on changera d’avis.
Oui bon, on a vendu la mèche un peu tôt dans cet article : on est amoureux d’Elden Ring. Pas de suspens, pas de blabla interminable : après plus de cent heures de jeu c’est un véritable coup de cœur que l’on va vous décrire. Notre test débarque un peu en retard, mais c’est pour une bonne raison : le titre a phagocyté notre temps libre, au point de détruire un emploi du temps pourtant très chargé en mars. Seulement, le probable GOTY méritait bien de ne laisser que quelques miettes à d’autres sorties beaucoup moins réjouissantes. On fait clairement face à une révolution, car FromSoftware (appuyé par Bandai Namco) a décidé de passer à autre chose. Avec ce soft, l’on dit au revoir au game design de Dark Souls pour embrasser celui des mondes ouverts, mais toujours avec le challenge comme mot d’ordre. Beaucoup ont parlé d’un The Legend of Zelda : Breath of the Wild rencontrant un Sekiro. Dans les faits, c’est sans doute exagéré tant le level design n’est pas encore au niveau du bijou de Nintendo, mais il y a tout de même de ça.
Si les internets se sont un peu emballés en parlant de « jamais vu » en parlant de fusion entre open world et Souls-like, l’on ne peut qu’écrire que le mélange atteint ici un niveau de finition que seul FromSoftware pouvait atteindre. C’est notamment le cas pour l’ambiance du soft, tout bonnement inoubliable d’un bout à l’autre de cette longue épopée. Vous connaissez les anecdotes autour de cette production, mais il faut tout de même préciser qu’une partie de l’écriture est le fruit de G. R. R. Martin, même si les détails de cette collaboration restent troubles. Apparemment, l’auteur de Game of Thrones se serait surtout penché sur le lore et les personnages, tout en sachant que certaines langues se sont déliées pour dire que ceux-ci ont tout de même été pas mal modifiés pour les besoins du jeu. On est peut-être face à un coup plus marketing que qualitatif, surtout que l’on ressent vraiment beaucoup plus l’apport du grand producteur Hidetaka Miyazaki (le véritable génie dans l’affaire), plus apte à créer le mystère que de nous étouffer avec de longues tirades. Non, on n’est pas spécialement fan de l’écrivain américain, donc on ne s’en plaindra surtout pas.
Surtout, l’on sent de suite que le scénario ne sera pas aussi lourdingue que celui entourant les aventures aussi interminables que bavardes des Stark et compagnie. Elden Ring déploie un univers bourré de détails certes, mais toujours avec cette envie de nous le conter par le ludisme, le gameplay, et non nous le faire subir uniquement dans des cutscenes ou un codex. On a aussi des cinématiques, mais très maitrisées (et parfaitement mises en scène), l’important se capte dans les environnements, dans le ressenti. Le joueur incarne un personnage, masculin ou féminin, un Sans-Éclat. Derrière ce sobriquet peu engageant se cache en fait un destin homérique, devant se frayer un chemin dans le monde de l’Entre-Terre, dévasté par une horde de demis-dieux issus de la paradoxalement disparue Marika l’Éternelle. L’univers, autrefois protégé par l’Arbre Monde et le Cercle, se meurt. D’ailleurs, ce dernier nous a carrément abandonné. Il sera question non seulement de le restaurer, en allant batailler contre les demi-dieux afin de récupérer leurs runes, mais aussi d’en prendre le contrôle. Vaste programme, qui ne se révélera entièrement que pour qui veut s’y investir. Sinon, l’on passe à côté de pas mal de détails pourtant vraiment importants. Bien évidemment, le tout est sous-titré en français.
Très gros travail sur l’atmosphère, à la fois sombre et mystérieuse
L’atmosphère est à la fois sombre, épique, et terriblement mystérieuse. L’on ne vous en dira pas plus, mais sachez que FromSoftware s’adonne avec réussite à la figure de style du rebondissement, ce qui n’était pas vraiment le cas dans ses précédents jeux. Alors oui, on suit une histoire très plaisante, mais tout de même : c’est bien le gameplay qui nous pousse à nous perdre dans les régions dévastées de l’Entre-Terre. Ce monde ouvert justement, était notre préoccupation centrale depuis l’annonce de ce titre. Comment allait-il s’en sortir, à une époque où Breath of the Wild a tant rebattu les cartes que celles d’un Horizon : Forbidden West, tout AAA qu’il soit, nous paraît incroyablement fade. Eh bien, Elden Ring n’a pas à rougir plus que de raison, même si la cohérence reste moins forte que celle du Hyrule de 2017. La map est extraordinairement immense, c’est sans aucun doute l’élément qui nous aura le plus surpris lors de notre partie. Si le premier contact avec la carte est un peu inquiétant, le territoire s’étalant de prime abord ne semblant pas bien folichon, l’échelle ne fait que s’élargir au fur et à mesure de la découverte des Fragments. Au final, notre terrain d’ouverture ne représente plus qu’un petit détail dans l’immensité de l’environnement, c’est tout bonnement hallucinant.
Surtout que FromSoftware a en partie retenu les leçons d’un Breath of The Wild, en refusant de trop prendre les joueurs par la main lors de l’exploration de ce monde ouvert. Oui, on est beaucoup à avoir vécu le même cheminement : l’on avance jusqu’à la rencontre avec le premier vrai boss, Godrick, véritable mur de difficulté (mais pas insurmontable pour qui pratique le Souls-like depuis longtemps), puis l’on rebrousse chemin devant l’épreuve. Et là, on se dit qu’on irait bien voir ce qui se trame vers l’Ouest. Puis c’est la découverte d’un Fragment de carte, de décors différents, on passe dans une forêt de plus en plus dense, les mystère et découvertes s’enchainent. Et, au final, vingt heures se sont évaporées avant de retourner voir (et éclater) Godrick. Alors certes, l’on ne retrouve pas forcément ce sens de la lisibilité des lieux qui fait du dernier Zelda en date le meilleur open world disponible, surtout à cause d’un certain manque de points de vue en hauteur, une verticalité un peu moins mise à profit afin de se repérer. Ce qui se confirme par l’option GPS, avec la possibilité d’inscrire un marqueur apparent sur l’ATH, histoire de se repérer, ce qui n’était absolument jamais un besoin dans BOTW. Mais tout de même, l’on remarque aussi une volonté d’aller plus loin, de nous perdre grâce à la quasi-absence de points d’intérêt sur la carte (l’on peut tout de même compter sur des indices, très finement indiqués). En résulte un véritable sentiment de grandeur, d’aventure, et surtout d’exploration. Ce qui n’est plus vraiment au rendez-vous dans les productions occidentales.
Un monde ouvert gigantesque, une véritable ode à l’exploration
Et surtout, chaque embarquées, chaque volonté d’aller farfouiller, est récompensée. L’on met toujours à jour quelque chose : des catacombes, un coffre, un boss, et même une mécanique de gameplay. C’est fascinant comme Elden Ring parvient à toujours nous surprendre, et ce même après cent heures de pratique. La recette est pourtant simple, et devrait être martelée dans les écoles occidentales : le besoin de sentir une courbe de progression. L’on pense de suite au tout début de l’aventure, exemplaire sur absolument tous les points. Ici, le tutoriel fait partie de l’expérience, l’on ne le subit pas pendant des plombes, avec des situations uniquement prévues à cet effet. D’ailleurs, il se peut aussi que vous décidiez de ne pas le vivre, car le passage reste tout à fait optionnel. De plus, FromSoftware a l’intelligence de jouer très finement avec ses propres codes. Lors de la prise en mains, on a en fait l’impression de jouer à un Dark Souls. On retrouve tout, jusque la lenteur de l’avatar. Et c’est pour mieux exploser tout cela par la suite, notamment grâce à l’arrivée du cheval Torrent. L’on sent continuellement l’envie de dépasser les principes précédemment instaurés, de les sublimer. Et les développeurs y parviennent, indéniablement. L’un des plus beaux exemples est la véritable bénédiction qu’est le nouveau système d’enchainement de coups, plus large qu’auparavant, plus agréable.
Sublimer certes, mais en respectant ses bases. Dès l’ouverture d’Elden Ring, et la création de l’avatar hyper précise, l’on sent qu’on fait face à un soft d’une profondeur insondable. D’ailleurs, le build, par le biais des classes, est si important qu’il poussera automatiquement à la rejouabilité, ne faisant que renforcer une durée de vie déjà titanesque. Ensuite, le gameplay rentre en jeu, et là c’est parti pour le débat un peu tristounet autour des titres de FromSoftware : la difficulté. Certains Youtubeurs se sont spécialisés dans la pleurniche autour du challenge, nous ne faisons pas partie de ces joueurs. Et ce même si l’on peut comprendre le refus de vivre la crispation, la frustration. Quand on est fans d’Uncharted et d’Assassin’s Creed, cela fait tout drôle de tomber sur un game design incluant la notion d’échec. Celle-ci est-elle toujours au rendez-vous ? Eh bien oui, et pas qu’un peu, ce qui nous pousse à écrire que le problème se situait ailleurs quand Sekiro est sorti. Peut-être était-ce dans la construction des règles, ce qui a été ici rendu plus accessible, tout en restant tout à fait pointu. Par exemple, le système d’évolution des armes, ou tout ce qui est disponible aux feux de camps (oui, ils sont évidemment là, tout comme la règle des éléments perdus, et à retrouver, lors du trépas). L‘on se doit de vous laisser le plaisir de la découverte, mais sachez tout de même que les gamers les plus réfractaires à ce que faisait un Dark Souls III pourront ici trouver une sorte de ligne médiane entre difficulté et évolution. Un véritable action-RPG, en somme.
L’on pourrait vous parler des heures de notre effroi devant l’apparition d’un effroyable dragon, dans un marécage cauchemardesque. Ou encore l’impression de n’être qu’un petit pois devant la découverte d’un ennemi pourtant lambda : un ours démesuré se grattant le dos tel un Baloo pour qui il faudrait notre échec pour être heureux. On pourrait enfin en faire des tartines sur les donjons Legacy, de véritables labyrinthes comme sait si bien les imaginer FromSoftware, pas tous au même niveau qualitatifs (on a des réserves sur certains, moins inspirés en terme de level design). Mais allons droit au but : tout cela ne fait que participer à un grand tout dont la richesse du contenu est la clé. Cela entraine une durée de vie que l’on ne peut réellement chiffrer. Entre le cheminement en lui-même, le endgame (difficulté encore rehaussée, des boss optionnels, des tas de quêtes optionnelles restent à découvrir), les classes à essayer, vous en aurez pour très, très, mais très longtemps. Côté technique, c’est peut-être le point le plus discutable. Oui, Elden Ring est beau, ce serait être de mauvaise foi que d’assurer le contraire tant certains panoramas resteront dans toutes les mémoires. Mais, et c’est une constante avec cette nouvelle génération de consoles, on n’a pas non plus la grosse mandale visuelle. L’on conseille tout de même de jouer en mode Performance, afin de profiter d’une fluidité constante. Enfin, la musique est certes un peu moins marquante que celle d’un Bloodborne, elle n’en reste pas moins un morceau de bravoure à savourer même hors-jeu, au casque.