- Chrono Cross : The Radical Dreamers Edition
- Disponible sur : PlayStation 4, Nintendo Switch, Xbox One, PC
- Développé par : D4 Enterprise, Square Enix
- Edité par : Square Enix
- Sortie le : 7 avril 2022
- Genre : J-RPG
Chrono Cross : The Radical Dreamers Edition, toujours aussi culte
On a une bonne nouvelle à vous annoncer : ça y est, les grands studios japonais, et même les constructeurs comme Sony et Nintendo, ont pris conscience de l’énorme potentiel de leurs ludothèques rétros. Certes, on pourra toujours se rappeler que les Sega, SNK et autres Konami ont toujours su nous refourguer des compilations en tous genres, mais ce n’est pas vraiment dans le même esprit que la sortie que nous abordons aujourd’hui. Chrono Cross : The Radical Dreamers Edition, c’est l’une des meilleures preuves concernant la remise en question récemment effectuée chez Square Enix. Car ce très grand J-RPG de l’ère PlayStation (oui, la toute première, ou PSOne pour les intimes) débarque enfin en Europe, chez nous, et tout sous-titré en français s’il vous plaît. Un véritable évènement, que tous les passionnés de jeux vidéo ne peuvent que chérir.
Très clairement, il est rare de débuter un test par un paragraphe aussi enjoué. Mais je ne vais pas passer par quatre chemins, la simple sortie de Chrono Cross : The Radical Dreamers Edition est si inespérée que le bonheur se ressent avant même de juger la qualité de ce remaster. Et, là encore, je me prononce tout de go : en fait, la révision formelle de ce chef-d’œuvre du jeu de rôle japonais m’importe peu. Voire pas du tout. Tout ce que je désirais, c’était d’enfin pouvoir y jouer dans des conditions acceptables, moi qui ait pu à l’époque, au début des années 2000, le parcourir dans son édition nord américaine. En ne pigeant pas grand chose à l’anglais, soit écrit en passant, c’est dire la passion qui animait (et anime toujours) les joueurs ayant connu l’époque bénie des seize et trente-deux bits. Bref, autant vous avertir que la note sera très élevée, le ton enjoué, contrairement à d’autres testeurs qui, à mon humble avis, passent totalement à côté du sujet.
Avant d’aborder ce que Chrono Cross : The Radical Dreamers Edition apporte, ou n’apporte pas, il faut tout d’abord justifier un tel engouement. Pour ce faire, remontons à la fin des années 1990. Dans les pages plus ou moins bien maquettées de nos magazines préférés, l’on se jetait dès que possible sur les articles consacrés à l’import. Et c’est là que Chrono Cross fut montré pour la première fois. « Chrono », un mot qui rappelait un autre titre hyper fantasmé, là encore issu de Square, et lui aussi inédit dans nos contrées à cette époque : Chrono Trigger. Soyons francs, la qualité parfois discutable des previews ne nous permettait pas savoir s’il s’agissait d’une réelle suite. C’était confus. Mais impossible de ne pas ressentir le frisson jubilatoire de la découverte. Surtout que deux ans étaient alors passés depuis la parution européenne de Final Fantasy VII. Dès lors, l’espoir de pouvoir jouer à ce genre de J-RPG naissait… pour malheureusement être tué dans l’œuf. À part le Japon, seuls les USA purent poser les mains dessus. Du coup, il fallu profiter de la puce magique de la PlayStation (il y a prescription), et mettre de côté de longs mois pour s’offrir le jeu chez un arnaqueur vendeur de République. Je le répète tout le temps, et ce sera encore le cas ici : la passion est si forte car, en d’autres temps, il fallait batailler pour l’assumer pleinement. Et faire des sacrifices, aller porter des cagettes au marché, etc.
Aujourd’hui, presque tout nous tombe sous la main, sans produire le moindre effort. Bien sûr, ce mode de consommation a aussi ses bons effets, permettant au plus grand nombre de s’approprier des œuvres autrefois obscures. Mais tout de même, je ne peux que ressentir une sorte de paradoxe au lancement de Chrono Cross : The Radical Dreamers Edition, et surtout en découvrant les sous-titres français. Aurais-je été aussi loin dans ce hobby devenu presque central dans ma vie, si les aventures de Serge (!) m’eurent été aussi facilement contées ? Peut-être pas, en tout cas cela ne change en rien la qualité de ce bijou. Et s’il garde son aura, c’est surtout grâce à la somme des talents s’étant penchés dessus. Dans les crédits, on ne retrouve certes plus la dream team de Square, mais tout de même des noms parmi les plus éminents de cet âge d’or du J-RPG. À la production, Hiromichi Tanaka, une pointure auparavant au travail sur Secret of Mana, Trials of Mana, et Xenogears. Au scénario et à la réalisation, on retrouve le surdoué (et désormais perdu de vue, dommage) Masato Kato, lui aussi auteur sur Xenogears, mais aussi Chrono Trigger, Final Fantasy VII et Baten Kaitos. Au moment de lancer Chrono Cross, en 1999 au Japon, ce duo marche sur l’eau. Et le résultat fut amplement à la hauteur des attentes.
De grands talents au service d’un sommet du J-RPG
Avec Chrono Cross : The Radical Dreamers Edition, Square Enix a pris le risque de proposer le jeu original dans son jus, tout en lui apportant tout de même quelques ajustements abordés plus bas. Pour le moment, il faut parler du sous-titre de cette édition, car il implique la présence d’un contenu jusqu’ici inédit hors du Japon : le visual novel Radical Dreamers. Il s’agit d’une aventure purement textuelle, parue en 1995sur Satellaview, le fameux service de téléchargement qui venait compléter la Super Famicom. Masato Kato, aussi scénariste sur ce titre, n’était pas du tout content du résultat, et a un temps tout fait pour le faire disparaître. Aujourd’hui, on peut enfin le découvrir dans un français de bonne qualité, et je vous conseille de débuter l’aventure par cette expérience. Car, en fait, il s’agit d’une sorte de pont construit pour faire le lien entre Chrono Trigger et Chrono Cross, avec des personnages en commun aux deux hits (dont Serge, ici narrateur). On comprend donc mieux cet univers, bien plus profond que ce qu’on pouvait imaginer à l’époque. Attention tout de même, car il s’agit d’un visual novel tout ce qu’il y a de plus épuré, avec une priorité absolue au texte. Du roman à peine graphique donc, qui demande aussi de l’investissement, entre les multiples cheminements possible et le new game plus bien fourni.
Il faut rassurer les curieux n’ayant pas terminé, ou même joué à Chrono Trigger, et n’ayant que peu de patience face à un visual novel : ils pourront très bien prendre leur pied en lançant immédiatement le jeu principal. Par contre, impossible de passer à côté du caractère rétro de Chrono Cross : The Radical Dreamers Edition, qui se voit comme le nez au milieu de la figure. La technique, la prise en mains, tout fait d’époque, mais cela ne peut faire oublier l’énorme scénario que le joueur s’apprête à vivre. Dans les premières heures, l’on découvre un prologue mystérieux, promettant un écho que l’on sent important par la suite. Ce sera d’ailleurs le cas, mais il ne faut pas en écrire plus à ce propos tant l’histoire regorge de rebondissements. Serge est le personnage principal du scénario, un pêcheur du petit village d’Arni, perdu dans le grand monde d’El Nido. Un jour, alors qu’il fait face à la mer, sur la plage d’Opassa, il est témoin d’un déchainement de la mer. Un raz de marée imposant, ou une vision prémonitoire ? Toujours est-il que notre héros se réveille, hagard, sur le sable. En retournant à Arni, il se rend compte que les habitants le considèrent comme mort depuis bien longtemps. C’est alors que Serge comprend, au fur et à mesure du début de cheminement, qu’il est entré dans un autre monde, ou plutôt une autre dimension. Et cette découverte s’accompagne du pouvoir de passer de l’une à l’autre, ainsi que d’une responsabilité dans un conflit engageant le monde entier.
Vingt-trois ans après la sortie japonaise, le scénario de Chrono Cross : The Radical Dreamers Edition continue de passionner. Non seulement de par son traitement, entre moments épiques, d’autres plus doux (voire même mélancolique), et humour léger. Surtout, la thématique du souvenir, de la trace laissée après la mort, a gagné en impact avec le temps. Eh oui, l’on était jeunes en 1999, et je ne me posais pas forcément la question des répercussions à long terme. Aujourd’hui, c’est un peu plus le cas, et ce que vit Serge évoque beaucoup plus de choses à l’homme que je suis devenu. Le récit s’est donc bonifié, et ce malgré une traduction française un peu en dents de scie. Entendons-nous bien, c’est à la fois un miracle et une bénédiction que de jouer dans de telles conditions à ce soft. Mais tout de même, certaines poussées d’humour, évidemment présentes dans l’écriture d’origine, nous paraissent parfois un peu appuyées. En fait, on sent un peu trop un ressort comique de chez nous, et pas forcément issu du Japon, ce qui peut faire tiquer. Bon, au final cela participe à l’ambiance de cette aventure solaire, vraiment différente dans la tonalité d’un Chrono Trigger plus sombre. Et, malgré ce tout petit reproche, je me pince encore à l’idée d’avoir pu tout comprendre sans traducteur à portée de main.
Le gameplay reste une sommité en la matière
Chrono Cross : The Radical Dreamers apporte aussi quelques retouches d’ergonomie. Elles sont classiques, mais peuvent faire la différence à notre époque. On pense à la présence, dès le début de l’aventure, de l’accélérateur de temps. D’autres options sont disponibles, comme l’invincibilité en combats (à éviter comme la peste, entre nous), le pilotage automatique des batailles, et la suppression des joutes aléatoires. Tout le reste du gameplay ne bouge pas d’un poil, et c’est une bonne chose. La prise en mains est certes rude, surtout pour les combats dont le tutoriel est vraiment expédié alors que le système se révèle assez novateur, mais le jeu reste hyper plaisant à parcourir. Après des premières heures assez dirigistes, l’on découvre le principe des dimensions, et la liberté apparaît enfin. Dans une représentation rappelant Final Fantasy VII, donc des décors pré-calculés et des angles de caméra poussant à adapter les déplacements, l’on est encore surpris par la puissance du résultat. Chaque endroit regorge de secrets (et même d’objets dans les décors, qui ne sont signalés par aucun indice à l’écran), et surtout l’on a l’impression d’agir sans cesse sur l’histoire. Ce n’est pas qu’un sentiment, puisque le soft propose un nombre énorme de fins différentes : une dizaine, grâce à un new game plus impressionnant. La rejouabilité est énorme, soyez prévenus !
Et dans ce monde, il va falloir combattre. Pour ce faire, l’équipe doit être au top, avec un nombre fou de personnages à recruter au fil de l’aventure (une quarantaine !). Le système est un tour par tour à l’apparence classique, mais Chrono Cross : The Radical Dreamers Edition s’éloigne tout de même subtilement de ce qu’on trouve dans les Final Fantasy et autres Dragon Quest. Les personnages disposent de points d’endurance, à dépenser en infligeant un coup ou une magie. Sur cette base, des mécaniques viennent s’ajouter afin de former un tout plus stratégique que porté sur l’action. Lancer l’option Attaquer rapproche le combattant de son adversaire, et lui offre trois possibilités : une offensive légère, une moyenne et une lourde. Chacune accompagnée d’un pourcentage de précision, lequel grandit selon la réussite des coups précédents. Et ce n’est pas tout, car parvenir à atteindre l’adversaire est récompensé par l’acquisition d’un niveau de magie, en fonction du niveau de l’attaque effectuée (si c’est une moyenne, deux niveaux, etc). Du coup, pas de PM mais un système reposant sur l’équilibre de nos décisions, ce qui se savoure particulièrement lors des boss. Enfin, on a aussi des couleurs associées aux sorts. Par exemple, le feu est rouge, vous vous en doutez. Là où ça devient intéressant, c’est dans l’utilisation de cette spécificité : chaque personnage a une couleur innée, donc son lancement sera plus puissant. Ajoutons enfin la mécanique la plus difficile à maitriser, mais ô combien salvatrice : la dominante terrain. Sur le champ de bataille, des couleurs sont disposées de base. Si vous les tournez toutes de manière identiques, en lançant astucieusement des sorts, alors la couleur gagne encore en force. De quoi faire vriller le cerveau, une bonne chose.
Si l’on excepte le gros morceau qu’est le visual novel, Chrono Cross : The Radical Dreamers Edition n’embarque pas de contenus exclusifs à proprement parler. Dommage, car Chrono Trigger sur Nintendo DS était bien plus généreux à ce niveau. Pas de donjons bonus donc. Mais rien de grave, car la durée de vie est déjà énorme. Si vous voulez tout voir : les onze fins, les quarante-quatre personnages jouables, et bien sûr parcourir l’entièreté de Radical Dreamers trouver tous les liserés etc, alors vous en aurez pour au moins quatre-vingt heures. Moins si vous activez l’invincibilité en combats, ce qu’on ne conseille décidément pas. Enfin, il est temps d’aborder la technique. Sachez qu’il est possible d’opter pour un bon lissage des textures et des modèles 3D, ce qui rend l’action plus lisible à l’écran. Ce n’est pas non plus une refonte technique, mais c’est appréciable. Par contre, on pourra tout de même s’étonner de voir les ralentissements d’époque survivre aux années qui passent. Regrettable, car il ne semble pas difficile de modifier tout cela. Cela ne change en rien la sublime direction artistique du jeu, signée Yasuyuki Honne (lui aussi a participé à Xenogears) et Nobuteru Yuki (pour le chara-design, que vous connaissez pour Escaflowne, Record of Lodoss War ou Trials of Mana). C’est divin à regarder, mais aussi à écouter. L’OST de Yasunori Mitsuda a été remasterisée avec grand soin, ne faisant que solidifier des thèmes tout aussi inoubliables que ce jeu décidément culte.
Conclusion
Aucun amateur de J-RPG ne peut se dire totalement connaisseur s’il n’a pas bouclé l’expérience Chrono Cross : The Radical Dreamers Edition. Auparavant inédit en Occident, ce chef-d’œuvre de Square est désormais à portée de mains, dans un remaster certes sans trop de bonus ni de refonte technique, mais tout de même très complet. Avec lui, on pourra aussi découvrir Radical Dreamers, un visual novel faisant le lien avec l’univers de Chrono Trigger. Et tout en français, s’il vous plaît ! Donc pas d’excuses, foncez et jouez !
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